mardi, novembre 29, 2005

D'un relativisme à un autre

Dans la pensée politique française et au sein même du débat public national, il y a un phénomène de plus en plus observable qui est en train de se développer: le relativisme. La gauche, tout particulièrement avec la figure du Che ou de Fidel Castro, y adhère pleinement. Le relativisme conduit, comme son nom l'indique, à "relativiser" la gravité des actes d'un dirigeant politique de manière à poursuivre la défense de ce personnage, aussi odieux soit-il. Le Che est le meilleur exemple actuel de cette dégénérescence du jugement humain. Nombre d'hommes et militants politiques continuent d'encenser le défunt homme de main de Fidel Castro oubliant au passage que feu Ernesto Guevara fut un dictateur de la pire espèce qui a entre autre supprimé la liberté de la presse à Cuba pour n'autoriser qu'un seul journal (la Granma: organe de presse officiel du pouvoir castriste) mais qui a également envoyé des homosexuels, des ouvriers, des chômeurs et autres dissidents politiques dans les premiers camps de travaux forcés de Cuba, mais ce serait sans compter sur l'interdiction des syndicats et du droit de grève au profit d'un seul et unique syndicat contrôlé par le bureau politique cubain ; et je fais l'impasse sur la ruine programmée de l'économie cubaine (dont la disparition de la quasi-totalité d'un large nombre de petits commerces) orchestrée par un ministre des finances marxiste-léniniste... résidant dans les quartiers bourgeois de la Havane, je veux bien entendu parler du grand et illustre Ernesto "Che" Guevara. Malgré ces tristes méfaits, la gauche française reste une admiratrice fervente du Che, Danielle Mitterrand reste la chantre la plus exaltée du communisme cubain, en septembre 1993 celle-ci déclare à propos de Fidel Castro et du communisme à Cuba:
Il y a trente-cinq ans, c’est le peuple cubain qui a fait la révolution et qui, avec son chef charismatique, a reconstruit l’économie, organisé la société et enseigné la jeunesse. Castro n’est pas arrivé au pouvoir par un coup d’Etat. Avec le peuple, il a reconquis l’île. Avec lui, le peuple a retrouvé sa dignité. Si on a à redire sur la liberté d’expression d’une opposition politique et sur le peu d’espace accordé à l’expression démocratique, dont je me suis entretenue à plusieurs reprises au plus haut niveau de l’Etat, je n’ai reçu aucun témoignage dénonçant des cas de disparitions de personnes à la manière sud-américaine ou centre-européenne.
En tant que conservateur, j'estime que l'on ne joue pas avec certaines valeurs. En tant que libéral-conservateur, c'est des valeurs de liberté dont je veux parler. Par conséquent, jamais je ne passerai l'éponge sur l'oppression que fait subir Fidel Castro à son peuple, je pense notamment à ces 75 dissidents (syndicalistes, militants des droits de l'homme, etc.), dont 27 journalistes indépendants, envoyés dans les geôles cubaines le 18 mars 2003 ; le seul crime de ces 27 journalistes était de publier des articles à l'étranger et d'avoir rencontré des diplomates américains. Cuba est actuellement la "deuxième plus grande prison du monde" selon les mots de Robert Ménard, président de Reporters Sans Frontières.

Vous l'aurez compris, le relativisme politique est une arme dangereuse qui peut amener à de curieuses inversions des valeurs telles que le culte implicite (ou explicite) de la mort et l'indifférence quant à la vie humaine, le relativisme est un un nihilisme, et sans conteste la meilleure arme intellectuelle des partisans du totalitarisme quels qu'ils soient. Il convient de rappeler les célèbres mots de feu Charles Maurras, le leader de l'Action Française dans les années 30 et 40 (en 1940, il qualifia l'arrivée au pouvoir de Pétain de "divine surprise"): celui-ci déclara qu'il trouvait "bien plus d'humanité" dans le fin bourreau allemand amenant le Juif à sa mort que dans "le nègre américain" larguant des bombes sur le territoire français.

De Charles Maurras à Danielle Mitterrand, le relativisme est l'ami des totalitarismes. De tous les totalitarismes. Ne nous étonnons donc pas de voir certains faire preuve de fort peu de considération à l'égard des meurtres d'Etat perpétrées sous le reigne du Général Pinochet ou de Franco. Et le plus amusant dans tout cela, c'est que ces individus s'auto-proclament "libéraux-conservateurs". Si ces gens ne défendaient pas des meurtriers de masse, il y aurait preque de quoi en rire. C'est bien là où je veux en venir: de la gauche toutes tendances confondues à la droite crypto-fasciste, d'un relativisme à un autre, les arguments sont les mêmes et l'aboutissement idéologique, identique. Cela dit, il y a une certaine différence entre défendre le Che et défendre Pinochet ; en effet, il convient de rappeler que c'est grâce au Général chilien que le Chili voit son PIB augmenter de 5,2% chaque année depuis 24 ans et l'a même vu croître de 8,3% de 1990 à 1997, le PIB par habitant est passé de 2 340 dollars en 1990 à plus de 5 000 dollars (4 230 €) en 2004, d'où l'élévation rapide du niveau de vie. La mission économique du Trésor français au Chili fournit l'explication suivante:
Ces bons résultats sont largement imputables aux réformes structurelles libérales mises en place à partir des années 1970 : privatisations, dérégulation, modernisation des marchés de capitaux, indépendance de la banque centrale, réforme de la législation du travail et de la prévoyance sociale.
Je rappelle qu'à la fin de la brève ère Allende, le Chili était à la dernière place de l'Amérique Latine alors qu'elle est devenue pendant et après la période Pinochet, la première puissance économique de l'Amérique du Sud. Cela, ce n'est pas rien. Voila pourquoi on ne pourra jamais totalement comparer le Che à Augusto Pinochet: ce dernier a sauvé le Chili des marxistes du parti d'Allende et de Castro qui, tout deux, téléguidaient Salvador le bien-aimé. En dehors de ces excellents résultats, il convient de rappeler l'existence du Plan Condor (
programme de répression mis en place par plusieurs dictatures sud-américaines pour pourchasser et éliminer physiquement les opposants politiques), de la Caravane de la mort (opération de répression qui entraîné l'élimination de 75 opposants à la dictature peu après le coup d'Etat du 11 septembre 1973) ou encore de l'opération Colombo (assassinat de 119 membres du Mouvement de la gauche révolutionnaire) et des 3 000 disparitions et assassinats imputables à la dictature de Pinochet, on peut également citer les 25 000 cas de torture dénombrées entre 1973 et 1990. En 1990, selon la commission Vérité et Réconciliation, le régime du général Pinochet aurait fait près de 2279 morts et disparus alors que 130 mille personnes ont été arrêtés pour des raisons politiques. Certes, il y a une floppée de membres d'organisations terroristes marxistes parmi ces disparus, cela dit cela ne doit pas nous faire oublier les innocents, démocates pour la plupart, assassinés lâchement par un authentique dictateur. On ne peut pas transiger là-dessus. D'ailleurs, le régime pinochetiste fut une contradiction à lui tout seul, d'où la difficulté de le juger, le 11 septembre 2003 l'Express écrit:
Trois paradoxes s'imposent, qui brouillent la lecture de ce que fut ce régime singulier. Le premier est que les traîne-sabres archaïques alors au pouvoir ont élaboré l'ébauche de la modernité du Chili. Le deuxième paradoxe, c'est que les experts de la contrainte, les champions de la coercition que sont les militaires sont devenus les mentors d'idéologues libéraux prônant le désordre créatif. Le troisième, enfin, est la réussite d'une tyrannie à imprimer sa marque à une démocratie dont elle a organisé le retour et les institutions.
Les bons résultats économiques d'un régime dictatorial ne doivent pas nous faire oublier la nature même de ce régime: nous sommes face à une dictature, c'est à dire face à un régime qui utilise la terreur politique ; que cela soit au travers du meutre, de la torture ou de l'enlèvement ; dans ce type de régime c'est la guerre permanente de tous contre tous qui est érigée en un modèle de vie sociale, au travers de la militarisation de la société (divisée en 3 parties: les "patriotes" auto-proclamés, les zélés collaborateurs et les "traîtres à la nation"), et politique ("ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous et contre la nation, il font donc les exterminer"). Certes le Chili a eu la chance de tomber sur un dictateur tout entier acquis aux préceptes du libéral Milton Friedman, maître de l'Ecole de Chicago, cela dit le Chili aurait pu tout aussi bien être jeté entre les griffes d'une véritable dictature fasciste telle que l'Italie en a connu pendant les années 30, or l'on connaît les ravages de la glorification de l'autarcie et du corporatisme mussolinien.

En tant que libéral, je ne saurais donner un chèque en blanc à un régime qui veut faire de mon voisin un loup potentiel pour moi, je crois au contraire à la coopération et au libre-échange des idées. Nous, conservateurs, devons rester fidèles à une certaine rectitude morale: jamais il ne nous sera possible de soutenir sans réserves un dictateur et son régime sanglant, quels que soient les résultats économiques de la politique menée par cet Etat. Ceci est un principe de base, une valeur absolue, d'ordre universel et intemporel: c'est cet attachement intégral à certaines valeurs qui fait du conservateur un homme droit et honnête dans ses idées, jamais pris en défaut. L'acceptation de ces principes est le corollaire du libéralisme conservateur, c'est ce qui nous distingue des relativistes et c'est ce qui fait notre grandeur d'esprit. Jamais un energumène défendant sans réserve un dictateur au moyen, par exemple, d'un t-shirt orné de la figure de Pinochet, ne pourra se dire libéral-conservateur. C'est tout bonnement impossible. En effet, il est possible de défendre Pinochet par simple pragamatisme car mieux vaut une dictature politique qui n'en est pas une sur le plan économique car inspirée par les thèses laissez-fairistes qu'une dictature marxiste-léniniste dont l'on connait le degré total et absolu d'oppression ; cependant, et je persiste et signe: jamais un libéral-conservateur ne pourra soutenir avec enthousiasme un assassin de masse coupable des pires atrocités sur des centaines et des milliers d'innncents dont le seul crime était de ne pas partager les vues politiques du pouvoir en place. Un tel enthousiasme doit être recherché, traqué et éliminé totalement de la mouvance libérale-conservatrice, il en va de notre crédibilité: comment prétendre jouer les donneurs de leçon à l'égard des fans décérébrés du Che s'affublant de t-shirt rouges à l'effigie du défunt dictateur communiste tout en faisant strictement la même chose avec un t-shirt représentant le Général Pinochet en noir sur fond blanc?

Qu'ils se nomment Franco, Pinochet, Videla ou Castro, jamais un libéral-conservateur ne défendra sans réserves un de ces meutriers totalitaires de masse, jamais un libéral-conservateur n'apportera son aide à la défense de la mémoire d'êtres aussi haïssables.

C'est en 2000, en Espagne, qu'est créée
l'Association pour la récupération de la mémoire historique (l'ARMH). Après 5 ans de recherches, épaulés par des archéologues et des volontaires, les membres de l'association découvrent 73 fosses et 583 corps. 583 corps d'hommes, de femmes et d'enfants amassés les uns sur les autres telles du bétail dans des fosses communes remplies de terre pour qu'on ne les trouve jamais. Aucun compromis n'est possible avec la tyrannie. Aujourd'hui comme dans l'avenir.

Sources:

Danielle Mitterrand : méfions-nous des préjugés (L'Humanité 16/09/1993)

Nouvelle vague de répression à Cuba : RSF demande l'intervention de la présidence britannique de l'Union européenne (IFEX.org)

La croissance chilienne est stimulée par les réformes menées depuis trente ans (Le Monde 07/11/2005) à lire sur le blog de Copeau: Red Hot Chili (07/11/2005)

Le Chili - L'héritage de Pinochet (L'Express 11/09/2003)

Pinochet reperd son immunité (RFI 27/08/2004)

Les morts oubliés du franquisme (L'Express 18/11/2004)

Augusto Pinochet (Wikipédia)

- Lafronde